Amy, la soeur jumelle de Martin, la responsable des canons, a cru bon d'intervenir.
- Là, c'est toi qui gueules, Martin. Calme-toi. Même si t'as raison. Bon sang, Josh, qu'est-ce qui t'a pris ? Même si il n'a rien à faire là, y'a pas de raisons de crier ! Me dis pas que t'as peur de ce chaton qui fait la sieste ?
Josh était au bord des larmes. Il hocha péniblement la tête. C'est là qu'on s'est rendu compte que c'était à mourir de rire. Et c'est ce qu'on a fait. On est morts de rire. Sauf Josh, le pauvre, dont la crise d' ailurophobie n'était pas encore terminée, et qui se manifesta.
- Arrêtez de vous marrer ! C'est pas drôle ! Et d'abord qu'est-ce qu'il fout là ce chat ? Qui a emporté son animal avec lui, que je le défonce ?
Il avait vraiment l'air décidé à réduire en charpie le coupable à l'aide de son hachoir à viande. Et n'avait pas complètement tort. On a tous arrêtés de rire. Malgré le regard-de-la-mort-crache -le-morceau-ou-ta-vie-sera-très-courte de Josh (qu'il utilise habituellement sur les pilleurs de frigo), personne ne se dénonça. Tout l'équipage était ici, sauf la capitaine qui devait cuver son vin dans sa cabine. Deux solutions : soit celui ou celle qui avait introduit le fauve redoutait de finir cuit avec du porto, et jouait les innocents,soit la bête s’était introduite toue seule, comme une grande. Et dans ce cas, un second problème s’ajoutait au premier : que faire de la boule de poils ? Josh avait sa petite idée.
- - Foutons-le à la flotte ! Ça lui apprendra à vivre !
Ce fut le point de départ du tout premier concours de sadisme de l’histoire de l’Humanité. Bon, d’accord, peut-être pas de l’Humanité, mais au moins de l’histoire de l’équipage. Moins la capitaine : avec elle, on n’est jamais sûr de rien.
- - Arrachons-lui les poils un par un à la pince à épiler !
- - Coupons-lui la queue et pendons-le avec !
- - Nettoyons-lui les oreilles à l’acide !
- - Et où tu veux trouver de l’acide en pleine mer, crétin ?
- - Crétin toi-même !
C’est à ce moment que j’ai eu le malheur de dire que ce chat n’avait peut-être pas mérité tant de violence, et que le débarquer à la prochaine escale me semblait être un punition plus que suffisante. J’aurais mieux fait de me taire …
- - Ça va pas ? T’as vu ce qu'il a fait à Josh ?
- - Ce chat a sali notre honneur de pirates ! Il faut qu'il paie !
- - En plus il a gâché toute la caisse de viande séchée !
- - Vous, les filles, vous êtes toutes pareilles… De grands yeux, deux ou trois touffes de poils , et vous fondez !
- - T’as pitié, avoue ! Tout ça parce qu'il est un peu mignon !
Ev Evidemment, à force de hurler plus fort les uns que les autres, ils ont réveillé la bête, qui s'est mise à remuer. Les cris se sont arrêtés net. Il y eut quelques secondes de blanc, puis les conversations reprirent, mais à voix basse. Finalement, on est tous tombés d'accord sur le fait qu'avant de prendre une décision, il fallait attraper le fauve. Mais personne ne voulait s'en charger. Logique, me diriez-vous. Entre Josh qui a peur des félins, Martin qui risquerait de l'étrangler en l'attrapant, moi qui n'ai as assez de force et les autres qui ont simplement la flemme de le courser dans toute la cale, on n'était pas rendus. Barn, comme le second qu'il est, a cherché à déléguer.
- Un volontaire pour aller choper le chat !
Et nous, comme les pirates que nous sommes, on a regardé le plafond en sifflotant. Notre sous-chef bien-aimé a dû s'y coller, en pestant contre nous, contre le chat et contre l'univers en général. Il s'est posté juste en face de la caisse et s'est baissé jusqu'à ce que son visage touche presque celui du fauve, les mains en position de pince autour de son corps. La bête, se sentant observée, a ouvert un oeil, puis l'autre. A dévisagé Barn. A lâché un petit "Mrraou". Et s'est rendormie. Je n'avais jamais vu le second se prendre un tel vent. Pour la deuxième fois en dix minutes, on est morts de rire. Même Josh, qui avait quitté sa position foetale pour suivre l'action plus facilement, en restant tout de même à bonne distance du tigre miniature. Faut pas pousser mémé dans les orties, non plus.
Apparemment, on était bruyants. Très bruyants. En tout cas assez pour empêcher une sieste. Enfin, je suppose que c'était pour ça. Le fait est que le chat s'est dressé sur ses pattes et a commencé à nous engueuler en langage félin, avec queue ébouriffée, poils gonflés, crachements et tout le toutim. Ça nous a fait marrer. Josh s'est bouché les oreilles et a fermé les yeux, ce qui a eu pour effet de redoubler les rires et les cris de la petite boule de poils. Voyant que cela n'avait pas vraiment d'effet, elle s'est un peu énervée.
- Miaaaaarrrrrrrggggh !!!
Je traduis : "Vos gueules, bande de braillards !". Étonnement, ça nous a calmé. Une fois le silence revenu, la bestiole, très contente d'elle, s'est repliée sur elle-même et a repris sa sieste. C'est là qu'un génie a pensé à fermé la caisse. Le chat ne s'est même pas aperçu qu'il était prisonnier et a continué à pioncer tranquillement. L'objet du litige enfermé, il n'y avait plus qu'à se référer à la seule vraie autorité à bord. En espérant qu'elle n'était pas encore bourrée..